Contrats publics

La clause illicite divisible du contrat peut être modifiée unilatéralement par la personne publique.

CE, 8 mars 2023, SIPPEREC, n° 464619, T.

Dans un arrêt mentionné aux Tables, le Conseil d’État a confirmé que la personne publique peut modifier unilatéralement une clause illicite d’un contrat administratif afin d’en corriger l’irrégularité, à condition que ladite clause soit divisible du reste du contrat.

Dans une rédaction particulièrement didactique, la Haute juridiction administrative indique ensuite que «  Si la clause n’est pas divisible du reste du contrat et que l’irrégularité qui entache le contrat est d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge. »

Cette solution s’inscrit dans le prolongement d’une décision « Centre hospitalier d’Ajaccio » (CE, 13 juin 2022, n° 453769). Le juge administratif avait alors considéré que si la personne publique ne pouvait écarter comme « nulle et non écrite » une clause illicite, elle pouvait l’écarter unilatéralement pour l’avenir.

Principe d’impartialité et assistance à maîtrise d’ouvrage :

attention aux liaisons dangereuses !

CE, 28 février 2023, n° 467455 

Annulant une ordonnance du juge des référés précontractuels de Lille, le Conseil d’État a considéré que constitue un manquement au principe d’impartialité la participation à la procédure de passation d’une société d’assistance à maîtrise d’ouvrage chargée de l’analyse et de la notation des offres dont le dirigeant se trouve également être à la tête d’une entreprise fournisseur de l’attributaire.

Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence « Société Applicam » (CE, 14 octobre 2015, n° 390968), laquelle avait également mené à l’annulation d’une procédure de passation en raison d’un lien de collaboration récent entre la société attributaire du marché et l’assistant à la maîtrise d’ouvrage, le dernier ayant été responsable de la première. Des « liaisons dangereuses » à l’égard desquelles les acheteurs publics doivent être vigilants..

Nullité d’un BEFA requalifié en marché public de travaux en raison de l’illicéité d’une clause de paiement différé.

CAA Marseille, 27 février 2023, n° 21MA04312

Dans une décision du 27 février 2023, la Cour administrative de Marseille, a requalifié un BEFA (bail en l’état futur d’achèvement) en marché public de travaux puis en a prononcé l’annulation, son contenu étant devenu par suite illicite.

Un centre hospitalier avait conclu un BEFA avec une SCI en 2017, mais s’était ravisé une fois les bâtiments achevés et n’avait voulu ni en prendre possession, ni en payer les loyers. Saisi par le preneur en contestation de la validité du bail, le Tribunal administratif de Grenoble, constatant qu’il avait pour objet principal de répondre à des besoins en matière de travaux définis par la personne publique, avait opéré la requalification de la BEFA en marché public de travaux (TA Grenoble, 9 novembre 2022, n° 2202198). Si le juge a, par suite, constaté la méconnaissance des règles de passation, il a considéré que cette méconnaissance ne pouvait être regardée comme un vice d’une gravité justifiant d’écarter l’application du contrat. Partant, en vertu de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, le juge a fait application des clauses financières du contrat et a condamné le centre hospitalier à s’acquitter de ses créances dont il n’avait d’ailleurs pas contesté le montant.

Si la Cour administrative d’appel de Marseille a, dans un premier temps, repris la solution du juge de première instance en requalifiant le BEFA en marché public de travaux, elle a, en revanche, donné raison au centre hospitalier en assimilant les loyers à des paiements différés, lesquels sont formellement prohibés en marchés publics (I de l’article 60 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, désormais codifié à l’article L. 2191-5 du code de la commande publique). Partant, la cour a jugé que le contrat était nul. Elle a également considéré  que la SCI ne pouvait revendiquer aucune indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause, dès lors que le bâtiment érigé n’a pas été occupé par le centre hospitalier et qu’il ne lui a donc pas été utile

Urbanisme et environnement

Le 24 mars 2023, deux textes modifiant le régime juridique des destinations et sous-destinations des constructions sont parus au Journal Officiel.

Décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu ;

Arrêté du 22 mars 2023 modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu ; 

Le décret n°2023-195 du 22 mars 2023 et le décret du 22 mars 2023, sont venus apporter des adaptations du contenu prévu par le Code de l’urbanisme en matières des destinations et des sous-destinations des constructions.

Les Dark stores sont inclus dans la sous-destination « entrepôt ».

Les Dark kitchens font l’objet d’une sous destination spécifique : « cuisine dédiée à la vente en ligne » (sous la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire »)

Le décret ajoute :

– Une nouvelle mention du secteur primaire dans la destination « autres activités des secteurs secondaire et tertiaire » ;

– Une nouvelle sous-destination « lieux de culte » au sein de la destination « équipements d’intérêt collectif et services publics » ;

– Une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » au sein de la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire ».

L’arrêté précise ces destinations et sous-destinations :

– Les activités « nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production, dans les conditions définies au II de l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme » sont inclues  au sein de la sous destination « exploitation agricole » ;

– La sous-destination « restauration » recouvre « les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d’une clientèle » 

– Quant à la sous destination « locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés » de la destination « équipements d’intérêt collectif et services publics », ilest précisé qu’« une partie substantielle de la construction est dédiée à l’accueil du public » ;   

– La sous-destination « industrie » recouvre « les constructions destinées à l’activité extractive du secteur primaire, les constructions destinées à l’activité industrielle et manufacturière du secteur secondaire, ainsi que les constructions destinées aux activités artisanales du secteur de la construction ou de l’industrie. Cette sous-destination recouvre notamment les activités de production, de construction ou de réparation susceptibles de générer des nuisances ». La sous-destination « bureau » englobe « les constructions fermées au public ou prévoyant un accueil limité au public, destinées notamment aux activités de direction, de communication, de gestion des entreprises des secteurs primaires, secondaires et tertiaires et également des administrations publiques et assimilées ».

– La sous-destination «  artisanat et commerce de détail »   recouvre « les constructions destinées aux activités artisanales de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, les constructions commerciales avec surface de vente destinées à la présentation ou à l’exposition de biens et de marchandises proposées à la vente au détail à une clientèle, ainsi que les locaux dans lesquels sont exclusivement retirés par les clients les produits stockés commandés par voie télématique ; » ;

– La sous-destination « entrepôt » recouvre « les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données » (Dark stores).

– La destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire » prévue au 5° de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme comprend « les cinq sous-destinations suivantes : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d’exposition, cuisine dédiée à la vente en ligne ».

– La sous-destination « restauration » recouvre « les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d’une clientèle » ;

– La sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » recouvre « les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique. Ces commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place. » (Dark kitchen)

Le décret est entré en vigueur le 25 mars 2023, à l’exception des dispositions modifiant la liste des destinations et sous-destinations des constructions qui entreront en vigueur à compter

Publication au Journal Officiel le 11 mars 2023 de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, après une censure partielle du juge constitutionnel.

Loi ENR n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables[1]

Le 11 mars 2023 a été publiée au Journal officiel, la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Cette loi s’articule autour de quatre grands axes :

– La planification des énergies renouvelables ;

– La simplification des procédures ;

– La mobilisation du foncier artificialisé pour déployer les énergies renouvelables ;

– La protection de la valeur générée par ces énergies ;

Concernant la planification des projets d’énergies renouvelables, la loi est venue instaurer un dispositif de planification territoriale des énergies renouvelables afin de faciliter l’approbation locale des projets. Ce dispositif fera intervenir des référents désignés dans chaque préfecture qui seront chargés de l’instruction des projets. En outre, l’Etat devra « mettre à la disposition des collectivités locales les informations disponibles que le potentiel d’implantation des énergies renouvelables ». 

Concernant la planification des procédures, l’objectif est de réduire le temps de déploiement des projets afin de revenir dans la moyenne des pays européens. Pour cela, la loi instaure une présomption de reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur, l’un des trois critères qui permet de déroger à l’obligation de protection des espèces protégées. Les référents préfectoraux seront chargés de faciliter les démarches administratives et de coordonner les services chargés d’instruire les autorisations. L’accompagnement par un médiateur des énergies renouvelables aura pour objectif « d’aider à la recherche de solutions amiables pour la résolution des difficultés ou des désaccords rencontrés dans l’instruction ou la mise en œuvre des projets d’énergie renouvelable ».

En outre, dans le cadre du contentieux administratif, le juge administratif devra permettre la régularisation de l’autorisation environnementale lorsque l’illégalité est régularisable afin de permettre une plus grande sécurité des projets.

Concernant la mobilisation du foncier, la loi permet l’installation de panneaux solaires sur des terrains artificialisés ou qui ne présentent pas d’enjeu environnemental majeur. La notion de terrains artificialisés vise notamment les terrains en bordure des routes et des autoroutes, les voies ferrées et fluviales, les friches en bordure du littoral, les parkings extérieurs existants de plus de 1 500 m2, les immeubles non résidentiels neufs ou lourdement rénovés.

L’agrivoltaïsme permettra de créer et développer des installations agrivoltaïques sur des hangars, des serres afin de permettre les productions agricoles. Toutefois, les installations solaires sont interdites au sol sur les terres cultivables.

Concernant la meilleure protection de la valeur générée par ces énergies renouvelables, les lauréats d’appel d’offres d’énergies renouvelables « devront participer au financement des projets « verts » des communes et des intercommunalités d’implantation ou à des projets de la biodiversité de l’Office français de la biodiversité ».

L’impact visuel d’un projet d’éoliennes peut créer un phénomène de saturation visuelle, néfaste à la commodité du voisinage.

CE 1er mars 2023, n°459716

CE 1er mars 2023  n°455629

Dans deux décisions mentionnées aux Tables, le Conseil d’Etat est venu préciser que l’impact visuel d’un projet d’éoliennes peut créer un phénomène de saturation visuelle, néfaste à la commodité du voisinage et donc présentant des inconvénients au regard du Code de l’urbanisme et du Code de l’environnement.

Aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Par ces deux décisions, le Conseil d’Etat réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle « il appartient à l’autorité d’urbanisme compétente et au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent ».

En outre, le Conseil d’Etat précise que « la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique » au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et ne peut donc justifier un refus de permis de construire.

Toutefois, le Conseil d’Etat estime que le phénomène de saturation visuelle que peut générer le projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour « la commodité du voisinage » au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement. 

C’est sur le fondement de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, que le Conseil d’Etat valide le refus d’autorisation environnementale opposé par le préfet au motif que le projet présente des inconvénients excessifs pour la « commodité du voisinage » dans un secteur dans lequel ont déjà été construits et autorisés plusieurs parcs éoliens.

Le permis de construire d’une installation photovoltaïque localisée en continuité d’une zone industrielle est conforme à la loi littoral.

CE, 17 février 2023 n° 452346

Par une décision du 17 février 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’une installation photovoltaïque constitue une extension de l’urbanisation au sens de la loi littoral. 

Le Conseil d’Etat considère, que l’implantation de panneaux photovoltaïques doit être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. En effet, sauf dérogation, une centrale solaire au sol ne peut dont être autorisée que si elle est située en continuité avec une agglomération ou un village existant.

En l’espèce, une association de protection de l’environnement a saisi le juge administratif d’une demande en annulation d’un arrêté par lequel le préfet a délivré un permis de construire en vue de l’édification d’un parc photovoltaïque. 

Le Conseil d’Etat rappelle que « d’une part, il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages ». 

En l’espèce, le terrain d’assiette du projet litigieux est situé en continuité avec une vaste zone industrielle de plus de cent hectares, dont 50 ha sont occupés par une usine de conversion et de purification du minerai d’uranium, avec 24 ha de surface bâtie comportant plusieurs bâtiments, et une dizaine de bassins de décantation et d’évaporation. Cette usine est elle-même implantée en continuité avec un hameau, où sont implantés une station d’épuration, un parc photovoltaïque et un poste électrique. 

Par suite, en retenant que le préfet a fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme en délivrant le permis de construire sollicité par la société Soleil Participatif du Narbonnais, au motif que cette zone ne constituait pas une zone déjà urbanisée, caractérisée par un nombre et une densité significatifs de constructions, la Cour administrative d’appel de Marseille a dénaturé les faits et les pièces du dossier.

Une décision de préemption est illégale lorsque la déclaration d’intention d’aliéner le bien qui en fait l’objet a été introduite par une personne qui n’en est pas le propriétaire.

CE, 1er mars 2023 M.B… n°462877

Dans un arrêt mentionné aux Tables, le Conseil d’Etat est venu préciser concernant le recours au droit de préemption que « le titulaire du droit de préemption sur un bien ne saurait légalement l’exercer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la déclaration d’intention de l’aliéner a été faite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n’est pas propriétaire du bien (…) ».

Le Conseil ajoute que « la réception d’une déclaration d’intention d’aliéner ouvre au titulaire du droit de préemption, alors même qu’il aurait renoncé à l’exercer à la réception d’une précédente déclaration d’intention d’aliéner portant sur la vente du même bien par la même personne aux mêmes conditions, un délai de deux mois pour exercer ce droit. La circonstance que la déclaration d’intention d’aliéner soit incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou sur les conditions de son aliénation est, par elle-même, et hors le cas de fraude, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration ».

De ce fait, le Conseil d’Etat relève l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité d’une décision de préemption lorsque la déclaration d’intention d’aliéner le bien n’a pas été notifiée par le propriétaire (L.213-2 du Code de l’urbanisme).

Les modifications importantes du PLU résultant de la mise en œuvre du pouvoir de suspension du préfet, ne nécessitent pas une nouvelle enquête publique.

CAA de Bordeaux, 2 mars 2023 n° 21BX03224

Dans un arrêt du 2 mars 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue préciser que le pouvoir du préfet « de suspendre le caractère exécutoire de la délibération approuvant le PLU prévu par les dispositions de l’article L. 153-25 du code de l’urbanisme ne relève pas de la procédure de modification du PLU mais vise un objectif d’intérêt général à assurer la compatibilité du plan avec les principes et documents d’urbanisme qu’elles mentionnent ».

La Cour indique que « la mise en œuvre du pouvoir que tient le préfet de ces dispositions intervient nécessairement après l’enquête publique et la transmission aux services de la préfecture de la délibération approuvant le PLU et pour des motifs déterminés par la loi ». Par conséquent, « les modifications du PLU résultant de la mise en œuvre par le préfet de ses pouvoirs n’impliquent pas la réalisation d’une nouvelle enquête publique préalablement à leur adoption alors même qu’elles porteraient atteinte à l’économie générale du plan ».


[1] https://www.vie-publique.fr/loi/286391-energies-renouvelables-loi-du-10-mars-2023