Cet arrêt, rendu à propos d’une décision de préemption intervenue postérieurement au délai de deux mois prévu par les dispositions du code de l’urbanisme sur la base d’une déclaration d’intention d’aliéner rectifiée par le propriétaire sur demande de l’administration, ne révolutionne pas le cadre juridique applicable mais énonce clairement les différentes causes d’interruption ou de suspension du délai précité.
Dans les faits, la société Buffalo Grill a adressé à la commune de Cergy, le 27 mars 2024, une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) portant sur un immeuble endommagé par un incendie, pour lequel une promesse de vente avait été conclue avec la Société financière stratégie et développement (SFSD).
Pour rappel, l’article L.213-2 du code de l’urbanisme dispose que « Toute aliénation » d’un bien soumis au droit de préemption « est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien ».
Toujours aux termes de cet article, le titulaire du droit de préemption dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de cette DIA pour l’exercer. Le silence gardé par l’administration vaut renonciation au droit de préemption (article R.213-7 du code de l’urbanisme). La décision de préemption notifiée au propriété du bien concerné au-delà de ce délai est illégale (v. CE, 13 mai 1996, commune de Franconville-la-Garenne, n°152472, Rec.).
Par courrier du 19 avril 2024, la commune a sollicité du propriétaire qu’il transmette une nouvelle DIA, au motif qu’il existait, selon elle, une incohérence entre la DIA initiale et la promesse de vente annexée à celle-ci. Le 29 avril suivant, une DIA rectifiée a été réceptionnée par la commune qui, le 9 juin 2024, a décidé d’exercer son droit de préemption.
La SFSD a entrepris de contester cette décision en formant un recours en annulation devant le tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise. En parallèle, elle a saisi le juge des référés de ce même tribunal sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative, afin d’en obtenir la suspension.
La SFSD soutenait notamment que la décision de préemption était illégale, car intervenue après l’échéance du délai de deux mois prévu par les dispositions précités.
Considérant que ce moyen, de même que les autres soulevés par la SFSD, n’était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption litigieuse, le juge des référés du TA de Cergy a rejeté cette requête. La SFSD a alors saisi le Conseil d’Etat (CE).
La question posée à la Haute juridiction administrative était donc de savoir si la demande adressée le 19 avril 2024 par la commune au propriétaire était de nature à faire obstacle à l’échéance du délai de préemption.
En annulant l’ordonnance du TA de Cergy, le CE a procédé à une actualisation et à une clarification (II) de principes établis de longue date par sa jurisprudence puis par le législateur (I).
1. Avant l’arrêt commenté : les causes d’interruption ou de suspension du délai de préemption
Par son arrêt « Finadev », la Haute juridiction administrative a posé le principe selon lequel le délai de deux mois prévu par l’article L.213-2 précité « ne peut être prorogé par la demande de précisions complémentaires que si la déclaration initiale était incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation » (24 juillet 2009, n°316158, Rec. T.).
Dans ce cas, « le délai de deux mois court à compter de la réception par l’administration d’une déclaration complétée ou rectifiée » (même arrêt).
Comme l’indique le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision commentée, cette décision est venue « combler un silence » de la loi, qui « n’organisait aucune interruption ou suspension de ce délai ».
Puis, la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme (ALUR) a modifié l’article L.213-2 du code de l’urbanisme, en y ajoutant notamment la disposition suivante :
« Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. »
La délai de deux mois peut ainsi être suspendu – et non prorogé – lorsque l’administration sollicite la transmission d’un des documents énumérés par l’article R.213-7 du code de l’urbanisme (par exemple, le dossier de diagnostic technique, l’indication de la superficie des locaux ou encore, le cas échéant, les actes constitutifs des servitudes).
S’agissant du cas où les informations transmises par le propriétaire au titulaire du droit de préemption sont entachées d’une erreur substantielle, les principes dégagés par la jurisprudence « Finadev » n’ont pas été codifiés.
Cela n’a pas empêché les juridictions du fond de continuer à les appliquer, en considérant qu’en plus de la suspension prévue par l’article L.213-2 du code de l’urbanisme, le délai fixé par celui-ci peut « également être prorogé si la déclaration initiale était incomplète ou entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation » (CAA Nancy, 3 mai 2022, n°20NC02338).
Il manquait un arrêt de principe précisant ces hypothèses et explicitant clairement leurs conséquences sur le délai d’exercice du droit de préemption.
2. L’apport de l’arrêt commenté : la clarification du cadre juridique applicable
Dans son arrêt « Société financière stratégie et développement », mentionné aux tables du recueil Lebon, le CE a donc actualisé le considérant de principe de sa décision « Finadev ».
Dorénavant, celui-ci indique qu’il ressort de l’article L.213-2 du code de l’urbanisme que, « d’une part, dans le cas où la déclaration initiale est entachée d’une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation, le délai de deux mois ne court qu’à compter de la réception par l’administration d’une déclaration rectifiée » et que, « d’autre part, ce délai est suspendu à compter de la réception par le propriétaire de la demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière ou de la demande de visite du bien effectuée par le titulaire du droit de préemption ».
Trois hypothèses doivent donc être distinguées.
En premier lieu, la DIA est entachée d’une erreur substantielle (c’est-à-dire, portant sur la consistance de l’immeuble objet de la vente, son prix où les conditions de l’aliénation), auquel cas la demande de rectification adressée par l’administration au propriétaire proroge le délai de deux mois.
A titre d’exemple, la demande de l’administration tendant à ce que soit rectifiée une DIA qui comporte des indications visiblement erronée quant à la nature du bien et n’indique pas le mode d’aliénation envisagé proroge valablement le délai de deux mois (TA Montpellier, 26 avril 2012, n°1103028).
En deuxième lieu, la DIA n’est pas entachée d’une erreur substantielle mais est incomplète. L’administration peut obtenir des informations dans le cadre d’une demande de pièces complémentaires énumérées à l’article R.213-7 du code de l’urbanisme. Dans cette hypothèse, la demande suspend simplement le délai de deux mois (v. p. ex. CE, 29 mai 2024, Société Cel Pires, n°489337, Rec. T.).
En troisième lieu, l’administration sollicite la transmission d’informations ou d’éléments qui ne sont pas exigés par les articles L.213-2, R.213-5 et A.231-1 du code de l’urbanisme et ne figurent pas à l’article R.213-7 de ce même code. Dans cette hypothèse, la demande n’est pas de nature à faire obstacle à l’échéance du délai de deux mois (CAA Douai, 1er juin 2017, n°16DA02250).
Dans ses conclusions sur cet arrêt, le rapporteur public justifie l’asymétrie entre ces deux dernières hypothèses et la sanction d’une DIA entachée d’une erreur substantielle par « la différence de nature entre un document manquant et une erreur d’une gravité telle qu’elle ne permet pas de regarder l’administration comme saisie d’un projet de vente ».
Il est intéressant de relever que le nouveau considérant ne mentionne plus explicitement l’incomplétude comme une cause de prorogation du délai de préemption. A la lecture des conclusions du rapporteur public, on comprend que le CE a jugé que cette hypothèse était désormais « entièrement couverte par la loi ».
On peut cependant s’interroger sur les incomplétudes qui touchent aux éléments essentiels de la vente devant obligatoirement être indiqués par le propriétaire en application des articles L.213-2, R.213-5 et A.213-1 du code de l’urbanisme. Au regard des motifs exposés par le rapporteur public pour justifier l’effet prorogatif plutôt que suspensif, on peut supposer qu’une telle incomplétude « ne permet pas de regarder l’administration comme saisie d’un projet de vente » et doit donc être assimilée à une erreur substantielle.
Au demeurant, la Haute juridiction administrative en profite pour rappeler qu’à l’expiration du délai d’exercice du droit ou en cas de décision explicite de renonciation prise dans ce délai, le titulaire ne peut plus revenir sur sa décision en la retirant (CE, 12 novembre 2009, société Comilux, n°327451, Rec. T.)et que « si la cession est intervenue et s’il [le titulaire du droit de préemption] estime que la déclaration préalable sur la base de laquelle il a pris sa décision était entachée de lacunes substantielles de nature à entraîner la nullité de la cession, il lui est loisible de saisir judiciaire d’une action à cette fin ».
En effet, sauf à démontrer l’existence d’une fraude, les erreurs substantielles entachant une DIA sont sans incidence sur la légalité de la décision de préemption mais peuvent cependant être prises en compte par le juge judiciaire pour apprécier la validité de la vente (v. en ce sens CE, 12 février 2014, société Ham investissement, n°361741, Rec.).

