I. Contexte


C’est une situation bien connue des praticiens que se propose d’aborder la présente note :  on connait la fébrilité de certains maires – notamment lors de périodes préélectorales mais pas seulement – à délivrer des autorisations d’urbanisme pour des programmes de constructions collectives, tant peut être vive l’opposition des riverains (et électeurs potentiels) qui souffrent peu la modification de leur environnement urbain immédiat. Le Maire oppose alors un refus de permis de construire alors même que le projet est a priori conforme à la norme.

Bien évidemment et dans la plupart des cas, le refus se fonde sur de véritables illégalités entachant le dossier de demande ou le projet architectural au regard de la règlementation d’urbanisme applicable.

Pour éviter de telles situations, une phase d’échanges informels peut s’établir entre le service instructeur et le maître d’œuvre afin de corriger d’éventuelles illégalités qui affectent la demande, voire même d’adapter le projet à une volonté politique qui peut ne pas être totalement retranscrite dans le règlement d’urbanisme et aller au-delà des servitudes qu’il prévoit.

Cette démarche apparait fondamentale car, ainsi que nous allons le voir, si le maire refuse la délivrance d’un permis de construire, fut-il légal, la voie judiciaire est une solution qui ne peut être satisfaisante d’un point de vue opérationnelle.

Mais celle-ci peut parfois s’imposer lorsque le maire refuse obstinément d’entrée en voie de discussion avec le constructeur dont il rejette le projet.

Le constructeur doit alors avoir conscience des difficultés d’un tel parcours contentieux qui, s’il aboutit favorablement, peut durer plusieurs années.

Si, comme c’est fréquemment le cas, le constructeur n’est pas propriétaire du fonds, ces délais contentieux peuvent être insupportables et conduire à l’abandon du projet (sans préjudice de l’action en responsabilité administrative qui ne sera pas examinée dans la présente note).

L’évolution procédurale du contentieux de l’urbanisme a créé une asymétrie abyssale pour les constructeurs entre le contentieux de l’autorisation et celui du refus.

Le premier, sauf exception de plus en plus rare, aboutit favorablement, par des mesures de régularisation volontaires en cours d’instance, ou en suite d’une annulation partielle ou d’un sursis à statuer[1]. Il est donc objectivement efficace.

Le second ne peut évidemment bénéficier de ces dispositifs et constitue un contentieux éminemment aléatoire d’un point de vue opérationnel.

II. Hypothèses & solutions


Prenons donc l’hypothèse d’une demande de permis de construire d’un immeuble collectif.

Rappelons que nous nous situons ici dans une hypothèse précise qui n’est pas celle d’un motif de refus fondé en droit et en fait.

Dans ce cas, le constructeur devrait évidemment déposer une nouvelle demande régularisée et n’aurait aucun intérêt à se lancer dans une longue procédure contentieuse au terme de laquelle il succombera immanquablement.

Nous évoquons le cas d’un maire refusant tout échange avec le pétitionnaire et dont l’opposition prend juridiquement la forme d’un ou de plusieurs refus de permis de construire fondés sur des motifs clairement illégaux ou s’autorisant d’une appréciation de la norme contestable.

Il en ira souvent ainsi du motif « subjectif » classiquement opposé à cette fin de mauvaise insertion du projet dans son environnement (article 11 du PLU / R.111-21 du Code de l’urbanisme) ou pour tout autre motif a priori illégal.

Si le motif ne préjudicie pas ou peu à l’économie du projet, il peut être raisonnable d’y satisfaire.

A l’inverse, le constructeur qui souhaite réaliser son projet et qui a le temps (parce qu’il aurait par exemple la complète maîtrise foncière) peut alors saisir le Tribunal Administratif pour contester cette décision de refus qu’il lui semble illégale et en demander l’annulation.

A ce stade se pose la question de la possibilité et de l’intérêt à saisir le juge du référé pour obtenir la suspension des effets de cette décision.      

D’abord, la condition d’urgence n’est pas légalement présumée en matière de décision négative, contrairement à la demande de suspension d’une autorisation d’urbanisme[2].

Il appartient donc au requérant de démontrer que la décision porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre[3].

La signature d’une promesse de vente sous condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire définitif est généralement invoquée dans le cadre de ces recours[4].

Le Conseil d’Etat juge de manière constante que « lorsqu’une promesse de vente comporte une condition suspensive stipulée dans l’intérêt exclusif de l’acquéreur, le défaut de réalisation de cette condition n’a ni pour objet ni pour effet de rendre caduque la promesse » de sorte que cette condition ne caractérise pas une situation d’urgence[5] ou encore que la caducité prochaine d’une telle  promesse ne la caractérise pas davantage, celle-ci pouvant être prorogée[6]  

Mais les juridictions de référé ont des appréciations très variables sur cette condition d’urgence et il n’est pas rare que de telles circonstances suffisent à la caractériser.

II.1. Si la requête est rejetée pour défaut d’urgence ou en raison de l’absence de doute sérieux sur la légalité de la décision, le constructeur pourrait décider de se désister de son recours au fond s’il n’a pas le temps d’attendre le Jugement ou s’il anticipe un rejet de son recours.

Il pourrait alors abandonner son projet ou décider de déposer une nouvelle demande de permis de construire répondant aux premiers motifs de refus, ce qui n’empêcherait pas le Maire d’en opposer le cas échéant de nouveaux.

Il pourrait également poursuivre son recours au fond[7], si ce n’est pour réaliser son projet, à tout le moins dans la perspective d’une action indemnitaire.

II.2. A supposer la condition d’urgence remplie ainsi que celle relative au doute sérieux sur la légalité de cette décision, le Juge des référés suspendra la décision de refus et enjoindra au Maire de réinstruire la demande de permis de construire[8].

Le Maire pourrait alors tirer toutes les conséquences de la décision et délivrer une autorisation provisoire (mais il n’est pas rare que le Maire oppose de nouveaux motifs de refus en suite du réexamen, obligeant alors le constructeur à se retourner autant de fois que nécessaire devant le Juge des référés)[9].

Il pourrait aller plus loin et délivrer une autorisation définitive, hors contentieux, ce dernier perdant alors son objet au terme du délai de retrait. 

Le permis provisoire, dans l’attente de la décision qui sera rendue par les Juges du fond, ne permet pas dans les faits de commencer les travaux.

Comme lorsqu’une autorisation est contestée par des tiers, la précarité d’une telle décision ne participe pas l’acquisition du terrain, à la pré commercialisation du projet, à son financement et à sa couverture assurantielle dans de bonnes conditions….      

Cette incertitude est aggravée par le fait que durant toute la procédure, le maire pourrait invoquer d’autres motifs de refus que ceux ayant fondé la décision initiale par le mécanisme de la substitution de motifs[10].

Ce dispositif s’inscrit toutefois dans les limites posées par la jurisprudence[11] qui le rend, en matière de contentieux du refus, particulièrement difficile à mettre en œuvre.

Un tel permis de construire provisoire disposerait toutefois d’un intérêt remarquable qui est de faire partir le délai de recours des tiers à compter de son affichage.

II.2.1. Dans l’hypothèse la plus favorable, le permis de construire provisoire (que le constructeur aurait pris le soin d’afficher) ne fait pas l’objet de recours de tiers.

Si les juges du fond annulaient la décision de refus, le permis de construire provisoire deviendrait définitif (sauf retrait dudit permis dans le délai prévu par le Conseil d’Etat – voir note n°13 -, pour un motif qui n’aurait pas été invoqué dans la décision de refus ou dans le cadre du contentieux par substitution[12]).

Le but est alors atteint. Le constructeur dispose, au jour du jugement d’un permis de construire purgé du recours des tiers (et définitif si tant est que le maire ne le retire pas dans le délai de 3 mois ou n’interjette appel).

II.2.2. Dans une hypothèse moins favorable, le permis provisoire est contesté par des tiers.

Le constructeur se trouve alors sur deux fronts contentieux : le premier contre la commune s’agissant de la décision de refus dont la contestation est encore pendante devant le Juge, le second, en défense, contre les tiers qui contestent le permis de construire provisoire.

La logique veut que le constructeur attende le résultat du recours en annulation contre la décision de refus avant de défendre aux recours des tiers, l’objet du second dépendant du premier.

Mais on peut également envisager une instruction parallèle par la juridiction des deux contentieux et un audiencement concomitant.

II.2.2.1. Si la requête du pétitionnaire contre la décision de refus prospérait, le permis de construire provisoire deviendrait définitif(sauf retrait dudit permis ou appel, voir § IV1.).

Si des tiers ont contesté le permis provisoire, le constructeur pourrait alors se concentrer sur ces recours et bénéficier le cas échéant des dispositifs de régularisation contentieuse

II.2.2.2 Si la requête en annulation de la décision de refus était rejetée, le permis de construire provisoire cesserait de produire ses effets et les éventuels recours des tiers seraient alors privés de leur objet.

Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat ne fait produire aucun effet au jugement de fond qui infirme l’ordonnance de référé. C’est à l’administration de retirer le permis de construire provisoire [13].

S’il y procédait, cette situation pourrait être considérée comme particulièrement désavantageuse puisque le pétitionnaire se retrouverait après des mois de procédure dans la situation originelle, à savoir dépourvu d’autorisation d’urbanisme permettant la réalisation de son projet.

Mais s’il on veut bien voir les choses du bon côté, le constructeur serait toutefois censé disposer à ce stade d’une vue particulièrement complète des moyens d’illégalités susceptibles d’entacher son projet, notamment si des tiers ont fait valoir leurs arguments à son encontre. 

S’il en a encore le temps et la possibilité et si la règlementation d’urbanisme n’a pas défavorablement évolué (puisque dans cette hypothèse, bien évidemment, le dispositif de l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme ne peut jouer), il pourrait alors modifier son projet et présenter une nouvelle demande d’urbanisme « irréprochable » auprès du maire.

Rien n’empêcherait ce dernier d’opposer une nouvelle décision de refus mais le choix des motifs serait désormais bien mince et une opposition déraisonnable ouvrirait grande la voie au plein contentieux. 

Les tiers qui auraient d’ores et déjà fait valoir leurs arguments contre le projet initial pourraient se retrouver face à un projet difficilement contestable et leurs nouveaux recours pourraient être considéré comme caractérisant un abus de droit.

Conclusion


La contestation d’une décision de refus clairement ou potentiellement illégale est un parcours semé d’embuches.

C’est une dépense en temps, en énergie et en argent que ne peuvent se permettre tous les constructeurs, qui ne disposent de la maîtrise du foncier que pour la durée des droits qu’ils tiennent de l’avant-contrat.

Dans ces conditions et face à un maire vent debout contre un projet, il conviendra, avant de se lancer dans une telle procédure, d’apprécier tous les paramètres (conséquences des motifs opposés sur l’économie de l’opération, chance de succès, maîtrise foncière, calendrier de l’opération…) avant de l’initier. Le constructeur devra opérer un bilan afin d’évaluer le bénéfice d’obtenir rapidement une autorisation d’urbanisme modifiée selon les souhaits de l’autorité compétente, par rapport à l’aléa et au temps perdu à tenter d’obtenir par la voie judiciaire l’autorisation pour un projet inchangé.

Si ces demandes sont « économiquement » acceptables et nonobstant la question de la légalité, il peut être pertinent de céder aux demandes du maire.   

Si le constructeur fait le choix de contester le refus, une suspension de cette décision en référé et la délivrance d’un permis provisoire est l’étape déterminante de ce contentieux en tant qu’elle va permettre d’avoir une première appréciation de la légalité de la décision, mais aussi et surtout de faire partir le délai de recours des tiers contre le permis de construire provisoire qui sera délivré.   

A la date à laquelle le juge statuera sur le fond et annulera le refus, ce recours des tiers, s’il n’a pas été exercé, ne sera plus possible. S’il l’a été, il permettra d’obtenir peu de temps après une décision juridictionnelle.

La perte de temps sera dans cette hypothèse et nonobstant le contentieux du refus, réduit.

L’exercice de cette voie de droit semble donc indispensable puisque son résultat permettra d’apprécier l’opportunité de poursuivre la procédure.

Si, malgré la suspension de la décision de refus pas le Juge des référé, le recours au fond contre la décision est finalement rejeté, le permis provisoire disparaitrait[14].

Mais le recours des tiers aura alors permis de vider le projet de toutes illégalités résiduelles. Le constructeur pourrait alors déposer une demande de permis de construire dans des conditions favorables.   

[1] Article L.600-5 et L.600-1-1 du Code de l’urbanisme

[2] Article L.600-3 du Code de l’urbanisme

[3] CE, 15 novembre 2002, n° 244461

[4] CE, 14 Octobre 2009, N° 327930

[5] CE, 3 février 2017, n°403846        

[6] CE, 1re et 6e ss-sect., 12 juin 2013, n° 358922, Cne de Lambesc  : JurisData n° 2013-011916

[7] Si le rejet se fonde sur l’absence de doute sérieux, Il veillera à confirmer le maintien de sa requête au fond – R. 612-5-2 du code de justice administrative

[8] Articles L. 911-1 et L.911-2 du Code de justice administrative, ce pouvoir d’injonction étant obligatoire exercé par le Juge lorsqu’il suspend une décision de refus – CE, ord., 24 déc. 2001, n° 240713, Assoc. AIDOP : JurisData n° 2001-063666 ; Lebon, p. 671

[9] CE, 13 juill. 2007, n° 294721, Commune de Sanary-sur-Mer : JurisData n° 2007-072181 ; Lebon T. 2007, p. 1129. 

Notons également que « L’autorité administrative qui a pris une décision sur injonction du juge administratif, qu’il lui ait été ordonné de prendre une mesure dans un sens déterminé ou de statuer à nouveau sur la demande d’un administré, n’a qualité ni pour demander l’annulation ou la suspension de sa propre décision, ni pour exercer une voie de recours contre une décision juridictionnelle rejetant la demande de tiers tendant aux mêmes fins. Il appartient seulement à cette autorité, si elle s’y croit fondée, d’exercer les voies de recours ouverte contre la décision juridictionnelle qui a prononcé l’injonction » (CE, 5e et 6e ch. réunies, 15 oct. 2018, n° 416670, Cne Sables d’Olonne : JurisData n° 2018-017967)

[10] Toujours possible même après le nouvel article L.424-3 du Code de l’urbanisme : Avis CE, 25 mai 2018, Précité.

La recevabilité de cette substitution de motifs n’est pas subordonnée à une demande expresse de substitution – CE, 19 mai 2021, n° 435109, Cne Rémire-Montjoly : Lebon T. ; JCP A 2021, act. 351

[11] CAA, Bordeaux, 5e chambre, 3 Novembre 2020 – n° 19BX03698 19BX03719 : « Une décision de retrait d’un permis de construire, qui est une décision soumise à une procédure contradictoire préalable en vertu des dispositions précitées n’est pas, de ce seul fait, exclue du champ de la substitution de motifs dès lors que dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué et n’est donc pas privé, quant au contradictoire, d’une garantie de procédure liée au motif substitué. Toutefois, dans l’hypothèse où les motifs de retrait invoqués au titre de la substitution auraient pu, à l’occasion d’une procédure de contradictoire préalable au retrait, donner lieu à une demande de permis de construire modificatif de la part du pétitionnaire, la substitution de motifs demandée devant le juge, qui ne permet pas le dépôt d’une demande de permis modificatif, a pour effet de le priver d’une garantie de procédure ».

[12] Dans cette hypothèse toutefois, les dispositions de l’article L.600-3 serait opposables et la procédure contradictoire qui serait obligatoirement suivie avant le retrait devrait normalement permettre la régularisation par permis modificatif.     

[13] Ce retrait devant « intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, eu égard à l’objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder trois mois à compter de la notification à l’Administration du jugement intervenu au fond ; qu’elle ne peut en outre être prise qu’après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations » – CE, sect., 7 oct. 2016, n° 395211, Cne Bordeaux : JurisData n° 2016-020964 ; Lebon

[14] en même temps que les recours des tiers perdraient leur objet, sauf à ce que le maire ne retire pas la permis provisoire dans le délai de « trois mois à compter de la notification à l’Administration du jugement intervenu au fond » – Voir note n°13