CAA Nantes, 18 mars 2025, n°22NT04125
L’arrêt ici commenté constitue un exemple d’annulation d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) en raison de sa méconnaissance des dispositions de la loi « Littoral », aujourd’hui codifiées aux articles L. 121-1 à L. 121- 51 du Code de l’urbanisme et dont les SCOT doivent normalement préciser les modalités d’application.
La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique – dite loi « ELAN » – a fait du SCOT « l’instrument privilégié d’appropriation locale de la loi Littoral » (Luc Manetti, Maxime Cornille, « Le SCOT, pivot territorial de la loi Littoral », Construction Urbanisme, 2022, n°7, Lexis Nexis, p. 11).
L’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme, dans sa version issue de la loi « ELAN », dispose ainsi que « Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, les modalités d’application des dispositions du présent chapitre [Aménagement et protection du littoral]. Il détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8, et en définit la localisation ».
Le SCOT n’est donc pas véritablement le document intégrateur de la loi. Autrement posé, ses prescriptions n’en reprennent pas les dispositions et ne font donc pas « écran » ni « disparaître la loi ». Néanmoins, ce document apporte des précisions qui « se répercuteront, par le truchement du rapport de compatibilité́ entre documents d’urbanisme, au PLU et, par suite, aux autorisations d’urbanisme » (Olivier Fuchs, conclusions sur CE, 9 juillet 2021, n°445118, Rec. T.).
Au premier chef, le SCOT joue un rôle d’identification et de localisation des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés dans la continuité desquels l’urbanisation peut valablement s’étendre, conformément à l’article L. 121-8 du Code précité.
C’est un manquement à cette obligation qui a initialement motivé l’annulation partielle, par le Tribunal administratif (TA) de Rennes, du SCOT du Golfe du Morbihan – Vannes agglomération. Le juge de première instance a en effet considéré que deux petits « Ker » avaient été identifiés à tort comme des secteurs déjà urbanisés en espace proche du rivage par le SCOT. Il avait, du reste, écarté les autres moyens soulevés par l’association Les amis des chemins de ronde du Morbihan (TA Rennes, 17 octobre 2022, n°2001716).
Ne se satisfaisant pas de cette décision, l’association requérante a porté l’affaire devant la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes, insistant cette fois sur « l‘absence de détermination de la capacité d’accueil du territoire couvert par le SCOT ».
En effet, comme le dispose l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme, il incombe également aux schémas de cohérence territoriale (SCOT) de déterminer la capacité d’accueil des territoires littoraux en prenant en compte les éléments énumérés à l’article L. 121-21 du Code précité, à savoir « la préservation des espaces et milieux mentionnés à l’article L. 121-23, (…) l’existence de risques littoraux, notamment ceux liés à la submersion marine, et de la projection du recul du trait de côte, (…) la protection des espaces nécessaires au maintien ou au développement des activités agricoles, pastorales, forestières et maritimes » et les « conditions de fréquentation par le public des espaces naturels, du rivage et des équipements qui y sont liés ».
Par un arrêt n°22NT04125 en date du 18 mars 2025, la CAA de Nantes a réformé le jugement de première instance en tant qu’il n’a pas prononcé l’annulation du document dans son ensemble. Celle-ci a en effet considéré qu’au-delà de l’identification erronée de quelques secteurs déjà urbanisés, l’intégralité du SCOT était viciée par une lacune dirimante quant à la détermination de la capacité d’accueil des nombreux territoires littoraux concernés.
Cet arrêt constitue un exemple d’annulation d’un SCOT pour méconnaissance de la loi Littoral. Son intérêt jurisprudentiel réside essentiellement dans le motif ayant fondé l’annulation intégrale du document (I). Plus classiquement, il offre une illustration du contrôle, par le juge administratif, de l’identification par le SCOT des secteurs déjà urbanisés (II).
I. L’absence de détermination des capacités d’accueil des territoires littoraux
Comme le rappelle la CAA de Nantes dans les motifs de sa décision, « il appartient aux auteurs du schéma de cohérence territoriale, notamment, de déterminer la capacité d’accueil du territoire concerné qui doit s’entendre comme étant le niveau maximum de pression exercée par les activités ou les populations permanentes et saisonnières que peut supporter le système de ressources du territoire sans mettre en péril ses spécificités ».
Il s’agit « d’un préalable ayant pour but d’analyser le niveau maximum de pression exercée par les activités ou les populations permanentes et saisonnières que peut supporter le territoire des communes littorales ». Cela suppose donc de procéder à une analyse des éléments énumérés par l’article L. 121-21 précité, éléments dont la préservation au titre de la loi Littoral va conditionner la capacité d’accueil.
Au cas d’espèce, la communauté d’agglomération du Golfe du Morbihan – Vannes agglomération s’était contentée d’une analyse globale très superficielle. Le rapport de présentation du SCOT soumis à l’enquête ne contenait que deux pages relatives à la « détermination de la capacité d’accueil », et son contenu s’intéressait à l’ensemble du territoire « sans distinction entre les communes littorales et les autres communes ».
Ni le TA, ni la commission d’enquête publique n’avaient trouvé à redire. Au contraire, selon l’avis de cette dernière, les deux pages du rapport de présentation soumis à l’enquête étaient suffisantes en ce qu’elles énonçaient « les éléments essentiels qui caractérisent les capacités d’accueil du territoire », tandis que, pour le TA, « aucune disposition n’interdisait aux auteurs du schéma de cohérence territoriale d’élargir l’analyse de la capacité d’accueil à l’ensemble des communes de son périmètre afin notamment de mieux appréhender la meilleure répartition possible de l’urbanisation sur ce territoire et de contenir d’éventuels effets de concentration des constructions sur le littoral ».
Il en allait différemment pour l’autorité environnementale, laquelle a considéré dans son avis sur le document litigieux que « le fait que le schéma de cohérence territoriale soit défini sur un scénario de croissance qui ne tient pas compte de la capacité d’accueil du territoire constitue un point d’attention majeur pour la prise en compte de l’environnement par le schéma ».
La direction départementale des territoires et de la mer du Morbihan avait également relevé l’absence dans le DOO de développements relatifs à l’obligation d’expliciter la capacité d’accueil du territoire en application de l’article L. 121-21 du code de l’urbanisme
En se basant notamment sur ces avis, la CAA a considéré que les termes particulièrement généraux du rapport de présentation soumis à l’enquête, l’absence d’analyse spécifique aux communes littorales, et l’insuffisante prise en compte des éléments énumérés à l’article L. 121-21 du Code de l’urbanisme ont entaché d’irrégularité la procédure d’enquête publique, dès lors que l’insuffisance du dossier sur ce point a nuit à l’information complète de la population.
Surtout, dans ces conditions, la CAA a jugé que le SCOT devait être regardé comme ayant été adopté sans détermination préalable de la capacité d’accueil des territoires littoraux, en méconnaissance des articles L. 121-3 et L. 121-21 précités. Cette détermination étant un préalable obligatoire, son absence constituait logiquement un vice dirimant justifiant l’annulation intégrale du SCOT.
En conclusion, il appartient aux rédacteurs des SCOT dont le territoire comporte des communes littorales de veiller à proposer une analyse complète et spécifique à ces dernières.
II. La mauvaise identification des secteurs déjà urbanisés
De manière plus anecdotique, l’arrêt commenté est l’occasion de revenir sur le rôle qui échoit aux SCOT s’agissant spécifiquement des secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages.
Création de la loi ELAN « à des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement ou d’hébergement et d’implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti », cette nouvelle notion vise principalement à permettre l’urbanisation des dents creuses.
Il appartient aux SCOT de les identifier, conformément à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. Ce même article prévoit, à cet effet, une liste de critères :
« Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs. »
L’article L. 121-3 de ce même code dispose en outre que le SCOT doit déterminer leurs critères d’identification.
Les indications du SCOT à cet égard sont prises en compte pour l’application de la loi Littoral aux autorisations d’urbanisme (CE, 9 juillet 2021, n°445118, Rec. T.).
Par ailleurs, dans la mesure ou le SCOT doit être compatible avec la loi Littoral (CE, 11 mars 2020, n°419861, Rec. T.), ces indications sont également soumises au contrôle du juge, lequel se fonde notamment sur les critères énoncés à l’article L. 121-8 précité pour s’assurer que les secteurs déjà urbanisés identifiés comme tels en présentent bien les caractéristiques.
Au cas d’espèce, le document d’orientations et d’objectifs (DOO) du SCOT litigieux identifiait plusieurs secteurs déjà urbanisés et en définissant les critères d’identification :
« Il ressort des pièces du dossier que le document d’orientations et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale contesté énonce les critères d’identification des secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages et les identifie. Ce document énonce ainsi que ces secteurs se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par la présence au minimum d’environ 25 bâtiments situés en continuité les uns des autres, une épaisseur du tissu urbanisé permettant notamment de les distinguer d’une urbanisation purement linéaire, la présence d’un réseau de voirie adaptée à la bonne desserte des bâtiments, la présence de réseaux d’accès aux services publics, de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets et une relative densité résultant de la continuité des bâtiments entre eux. De plus, le document d’orientations et d’objectifs prévoit que deux critères additionnels peuvent venir conforter l’indentification de tels secteurs, à savoir la présence d’un noyau ancien historique et la présence d’un équipement ou d’un lieu de vie collectif. »
Le juge administratif n’a pas remis en cause ces critères, qui vont au-delà de ceux listés par le Code de l’urbanisme. En revanche, il a considéré que deux secteurs avaient été identifiés à tort comme déjà urbanisés, en méconnaissance de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.
Il est intéressant de noter que le premier de ces deux secteurs avait été validé par le juge de première instance, au motif notamment que le nombre de bâtiments (27) était supérieur au seuil de 25 fixé par le DOO. Cette conformité aux critères fixés par le SCOT n’a pas empêché la CAA de considérer « qu’eu égard à la faible densité des constructions et à l’absence d’épaisseur du tissu urbanisé, l’identification de ce lieu-dit en tant que secteur déjà urbanisé » n’était pas compatible avec les dispositions de la loi Littoral.
S’agissant du second secteur, celui-ci présentait « une quinzaine de constructions, dont seulement six sont mitoyennes, implantées de façon linéaire le long d’une voie de circulation ». Les rédacteurs du SCOT avaient donc manifestement méconnu les critères qu’ils avaient eux-mêmes fixées dans le DOO.
Au final, au stade de l’identification des secteurs déjà urbanisés, les rédacteurs d’un SCOT doivent veiller, d’une part, à respecter les critères fixés par le Code de l’urbanisme et, d’autre part, à se conformer strictement aux critères qu’ils se sont fixés. Autrement, ils encourent une annulation partielle du document adopté.