CE, 21 septembre 2023, n° 467076, publié Recueil Lebon
Intéressante décision du Conseil d’Etat publiée au Recueil sur l’opposabilité de l’autorité de chose jugée d’une décision annulant un permis de construire à une décision postérieure relative à la légalité du refus du même permis de construire.
Une société de promotion s’était vue refuser la délivrance d’un permis de construire de 3 maisons individuelles et avait porté la légalité de cette décision devant le Tribunal Administratif.
Au cours de cette procédure, le Maire a retiré ledit refus et délivré à la société le permis de construire.
Des voisins du projet ont alors contesté le permis de construire devant le Tribunal Administratif qui annula le permis de construire (pour le même motif – méconnaissance de l’article R.111-2 du Code de l’urbanisme – que celui ayant fondé la décision de refus retirée), par une décision devenue définitive.
Le Tribunal Administratif devait également rejeter, par un second jugement de la même date, le recours de la Société contre le refus de permis de construire initial.
La Société de promotion a donc fait appel de cette dernière décision. La Cour s’est alors saisie du moyen d’ordre public fondé sur l’autorité de la chose jugée par le Tribunal Administratif ayant annulé définitivement le permis de construire pour le même motif que celui ayant fondé le refus de permis de construire.
C’est contre cette arrêt que la société s’est pourvue devant le Conseil d’Etat.
On voit bien l’enjeu d’une telle hypothèse car considérer l’opposabilité de l’autorité de chose jugée postérieurement à la décision à laquelle elle s’applique heurte le principe de l’appréciation de la légalité des actes administratifs à la date de leur édiction.
En outre et même si l’autorité de la chose jugée est en l’occurrence absolue, les décisions en cause étaient différentes même si relevant d’une même opération d’urbanisme et donc disposant d’un objet identique.
Enfin, la question se posait du périmètre de l’autorité de chose jugée. Dans ses conclusions, le Rapporteur public (Laurent Domingo) considérait que cette autorité ne s’attachait en l’espèce qu’au dispositif, en l’occurrence l’appréciation du moyen tenant à l’article R.111-2 et non à l’annulation elle-même, ce qui, selon lui, permettait d’opposer la chose jugée pour écarter un moyen contre un acte pourtant antérieur.
Le Conseil d’Etat est allé sur ce dernier point plus loin que son rapporteur en jugeant :
« 2. L’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif d’un jugement, devenu définitif, annulant un permis de construire ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire fait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le refus opposé antérieurement ou ultérieurement par l’autorité administrative à la demande d’un permis ayant le même objet soit annulé par le juge administratif dès lors que ce refus est fondé sur le même motif que celui ayant justifié l’annulation du permis de construire. Alors même que la légalité d’un refus de permis s’apprécie à la date à laquelle il a été pris, il appartient ainsi au juge de l’excès de pouvoir de prendre acte de l’autorité de la chose jugée s’attachant, d’une part, à l’annulation juridictionnelle devenue définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré postérieurement à la décision de refus, et, d’autre part, aux motifs qui sont le support nécessaire de cette annulation ».
Il faut donc retenir de cette décision que :
– l’autorité de la chose jugée relative à l’annulation d’un permis de construire est opposable à une décision antérieure (ou postérieure) de refus du même permis de construire fondée sur les mêmes motifs, en l’absence de modification des circonstances de droit ou de fait entre ces deux décisions.
– l’autorité de chose jugée s’attache dans cette hypothèse tant au dispositif du jugement (annulation) qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire.
Cette solution qui étend donc l’opposabilité de l’autorité de chose jugée (dispositif et motifs qui en sont le support) à une décision antérieure, a pour elle d’éviter dans ces situations (particulières) des divergences d’appréciation lorsqu’est en cause la légalité de décisions relatives à une même opération d’urbanisme.