Saisi d’une question de droit transmise par le tribunal administratif de Grenoble, le Conseil d’État a rendu un avis dans lequel il considère que les décisions constatant la péremption des autorisations d’urbanisme doivent être motivées et précédées d’une procédure contradictoire préalable.
Il est constant que la délivrance d’une autorisation d’urbanisme n’oblige pas le pétitionnaire à réaliser les travaux : il peut librement y renoncer. Cependant, si celui-ci souhaite les réaliser, il ne saurait en retarder le commencement outre mesure. Autrement, au-delà d’un certain délai, son autorisation risque d’être frappée de péremption.
En effet, l’article R.424-17 dispose que « Le permis de construire, d’aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de trois ans à compter de la notification mentionnée à l’article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année ».
Ces dispositions sont également « applicables à la décision de non-opposition à une déclaration préalable lorsque cette déclaration porte sur une opération comportant des travaux ».
Si le code de l’urbanisme pose le principe de la péremption, il s’abstient en revanche de préciser les formes et conditions dans lesquelles l’autorité administrative constate cette péremption et acte la caducité de l’autorisation d’urbanisme.
En pratique, l’autorité compétente, généralement le maire (v. pour le principe : CE, 16 avril 1975, Ville de Louveciennes, n°94329, Rec.), adresse au pétitionnaire un courrier constatant la caducité de son autorisation.
Ce courrier constitue une décision administrative faisant grief pouvant donc être contestée devant le juge administratif (5 décembre 1984, SCI Le Pavois, n°41573).
Subsiste la question de savoir si cette décision doit être motivée et précédée d’une procédure contradictoire, la Haute juridiction administrative ne s’étant pas prononcée sur ce point.
C’est la question qui se posait en l’espèce.
Dans les faits, le tribunal administratif (TA) de Grenoble était saisi d’une demande d’annulation d’un courrier constatant la caducité d’un permis de construire. Ce courrier exposait les motifs de droit et de fait fondant cette décision et invitait le pétitionnaire à solliciter un nouveau permis.
Dans sa requête, ce dernier soutenait que la décision était insuffisamment motivée et aurait dû être précédée d’une procédure contradictoire, sur le fondement des dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
En défense, la commune soutenait que la décision de constatation de la péremption n’avait pas à être motivée, et qu’en tout état de cause, elle était suffisamment motivée. De même, elle affirmait qu’aucune procédure contradictoire n’avait à être conduite et qu’en tout état de cause, ce vice était neutralisable.
Considérant que ce débat présentait les conditions requises par l’article L.113-1 du code de justice administrative (c’est-à-dire, soulevant une « (…) question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges »), le TA a transmis au Conseil d’État (CE) la question de droit suivante :
« La décision constatant la péremption d’un permis de construire doit-elle être motivée en application du 5° de L.211-2 du code des relations entre le public et l’administration ?
En cas de réponse positive à cette question, est-elle alors soumise à une procédure contradictoire en application de l’article L.121-1 du même code ? »
En y répondant, le CE a considéré que la décision par laquelle l’autorité administrative constate la caducité d’une autorisation urbanisme constituait une décision administrative individuelle défavorable opposant une déchéance au sens du CRPA. Par conséquent, une telle décision doit en tout état de cause être motivée et précédée d’une procédure contradictoire (I).
Toutefois, le CE précise que le moyen tiré du manquement à ces obligations ne sera inopérant que lorsque l’autorité compétente ne se trouve pas en situation de compétence liée (II).
I. La décision par laquelle l’autorité administrative constate la caducité de l’autorisation urbanisme est une décision opposant une déchéance au sens de l’article L.211-2 du CRPA
L’article L.211-2 du CRPA liste les décisions administratives individuelles défavorables dont les destinataires, personnes physiques ou morales, doivent être informés des motifs.
On y trouve notamment les décisions retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits, les décisions prononçant une sanction ainsi que celles opposant une prescription, une forclusion ou une déchéance.
D’autre part, l’article L.121-1 de ce même code dispose que les décisions devant être motivées en application de l’article L.211-2 précité sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable(pour un contentieux fourni sur cette question, voir celui du retrait des autorisations tacite d’urbanisme).
Saisie de la question de savoir si le courrier par lequel l’autorité compétente constate la caducité d’une autorisation d’urbanisme était soumis aux obligations énumérées ci-dessus, la plupart des juridictions ont répondu par la négative.
La cour administrative d’appel (CAA) de Versailles a ainsi pu considérer « qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’autorité administrative compétente pour constater la caducité d’une autorisation de lotir de dresser de façon contradictoire un procès-verbal constatant l’état d’avancement des travaux » (CAA Versailles, 14 janvier 2021, n°19VE00554 ; v. dans le même sens : CAA Marseille, 2 novembre 2015, n°13MA00532 ; 29 septembre 2020, n°18MA01759).
De manière générale, la jurisprudence considérait que, la péremption étant acquise sans que l’intervention d’une décision soit nécessaire, le courrier la constatant étant seulement recognitif d’un fait (à la différence des décisions subséquentes – arrêté interruptif de travaux, de refus de prorogation, de refus de transfert de permis ou de délivrance permis modificatif – dont la péremption de l’autorisation n’est alors que le motif).
Partant, le courrier ne constituait pas une décision défavorable opposant une prescription, une forclusion ou une déchéance.
Récemment, le TA de Montreuil a cependant pris le contrepied de cette jurisprudence et a considéré qu’une telle décision devait « être regardée comme une décision individuelle opposant une déchéance, au sens du 5° de de l’article L. 211-2 précité » (TA Montreuil, 6 avr. 2023, SAS Braxton Promotion 1, n°2204353, AJDA 2023 p.1301).
En effet, comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire, la solution retenue par les décisions précitées « n’analyse que le cas où l’administration fait une exacte application de la loi ». Or, si un « constat correct peut être superfétatoire, un constat incorrect n’en peut pas moins créer un désordre dans l’ordonnancement juridique ».
D’autre part, et comme exposé ci-dessus, il est constant que la décision par laquelle l’administration constate formellement la péremption de l’autorisation d’urbanisme est une décision administrative faisant grief.
Considérant donc que « la décision de constater la caducité d’une autorisation d’urbanisme manifeste l’opposition de l’autorité administrative à la réalisation du projet du pétitionnaire, motif pris de ce qu’elle considère qu’il est déchu du droit de construire attaché à l’autorisation d’urbanisme qui lui a été accordée », le Conseil d’État a estimé, dans son avis ici commenté, qu’une telle décision devait donc être assimilée à une déchéance, au sens du 5° de l’article L.211-2 du CRPA.
Par conséquent, la décision constatant la péremption d’une autorisation d’urbanisme devra désormais être motivée et précédée d’un procès-verbal contradictoire.
II. Le moyen tiré d’un manquement aux obligations prévues par le CRPA sera cependant inopérant lorsque l’autorité compétente se trouve en situation de compétence liée
Si une telle décision doit donc être motivée et être précédée d’une procédure contradictoire en tout état de cause, le Conseil d’État a cependant précisé que le moyen tiré du manquement à ces obligations ne serait pas opérant en toutes circonstances :
« Lorsque, pour constater la caducité de l’autorisation d’urbanisme, l’autorité administrative est conduite à porter une appréciation sur les faits, notamment sur la nature et l’importance de travaux entrepris, les moyens tirés du défaut de motivation de sa décision et de ce qu’elle n’a pas été précédée du recueil des observations du pétitionnaire sont opérants.
En revanche, lorsque cette décision procède du seul constat de l’expiration d’un délai, l’autorité administrative se trouve en situation de compétence liée et les moyens tirés de ce que sa décision serait insuffisamment motivée ou procéderait d’une procédure irrégulière sont, dès lors, inopérants. »
Autrement dit, lorsque le courrier ne fait que constater l’expiration incontestable du délai de péremption, les moyens tirés du défaut de motivation et de l’absence de procédure contradictoire préalable seront écartés par le juge administratif.
Cette solution est cohérente avec la jurisprudence antérieure. En effet, en principe, lorsque la péremption est acquise, l’administration constatant la caducité se trouve en situation de compétence liée (v. p. ex. : CAA Marseille, 15 février 2000, Ville de Nice, n°97MA00848).
Or, en principe, lorsque l’administration se trouve en situation de compétence liée, les moyens tirés du défaut de motivation et de l’absence de procédure contradictoire préalable sont inopérants (v. pour le principe : CE, 3 février 1999, n°149722-152848).
En revanche, l’administration ne se trouve pas en situation de compétence liée lorsque, pour prendre sa décision, elle doit porter une appréciation sur les faits de l’espèce, notamment sur l’existence, la consistance, la temporalité des travaux éventuellement réalisés.
On pense ici aux hypothèses dans lesquelles l’autorité compétente devra apprécier si les travaux autorisés ont effectivement été matériellement entrepris dans le délai (CE, 2 nov. 1994, n° 136757) ou n’ont pas été interrompus plus d’une année (CAA Marseille, 1re ch. – formation a 3, 24 nov. 2005, n° 03MA00698).
Et comme le relève la rapporteure publique dans ses conclusions sur l’avis commenté, « (…) les cas de compétence liée ne requérant aucune appréciation des faits sont très rares ». En effet, en pratique, il y a « presque toujours matière à contestation sur le fait que la décision « se borne à constater » une péremption sans porter d’appréciation factuelle ».
Au final, sauf à ce que le courrier se borne à constater l’absence pure et simple de travaux entrepris durant le délai prévu par le code de l’urbanisme, il nous semble que le moyen tiré du manquement aux obligations précitées sera le plus souvent opérant.