Une décision importante vient d’être rendue par le Conseil d’Etat concernant le régime du permis de construire modificatif, laquelle revient sur les principes anciens et bien établis concernant le champ d’application de ces autorisations.
On sait que le permis de construire modificatif est un instrument essentiel en matière de droit de l’urbanisme en tant qu’il permet de faire évoluer un projet en cours de réalisation ou de « rattraper » en cours ou en fin de chantier d’éventuelles non-conformités avec le permis de construire initialement délivré.
Jusqu’à cette décision, une telle autorisation modificative d’un permis de construire ne pouvait venir remettre en cause l’économie générale du projet.
Par ailleurs, un tel permis modificatif ne pouvait être délivré que si le permis initial n’était pas périmé (CE, 9 mars 1984, n° 41314 CE, 29 déc. 1997, n° 104903) et les travaux non achevés (CAA Marseille, 1re ch., 21 oct. 2010, n° 08MA03350).
Une jurisprudence fournie permettait de cerner les contours de ce qu’il fallait entendre par une telle altération de l’économie générale du projet.
Si tel était le cas, un nouveau permis de construire s’imposait, avec toutes les conséquences contentieuses induites (sur le champ du recours des tiers mais également sur la norme réglementaire opposable en cas d’évolution défavorable).
Un autre terrain de mise en œuvre de ces permis modificatifs a été introduit dans le cadre des nouveaux instruments de régularisation contentieuse des permis de construire, prévus aux articles R.600-5 (loi du 13 juillet 2006, ENL) s’agissant de la régularisation suite à une annulation partielle et R.600-5-1 du Code de l’urbanisme (ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme) s’agissant de la régularisation dans le cadre d’un sursis à statuer prononcé avant dire droit par le Juge.
La délivrance d’un permis de construire de régularisation dans ce cadre obéissait au même champ d’application que celui intervenant hors contentieux. La seule différence tenait au critère temporel, puisque le permis de construire délivré dans ce cadre contentieux pouvait modifier un permis de construire ayant produit tous ses effets (achèvement de la construction).
Mais la loi ELAN (Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018) a changé la donne en conférant un régime propre aux modifications des permis de construire intervenus dans le cadre des dispositifs de régularisation contentieuse.
La loi ELAN a ainsi substitué à l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme le terme « permis modificatif » par celui de « mesure de régularisation ».
Le Conseil d’Etat est rapidement venu préciser le champ d’application de ces « mesures de régularisation » :
« Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (Avis n° 438318 du 2 octobre 2020)
A la mise en cause de l’économie générale du projet, la loi et la jurisprudence ont déplacé le curseur à l’appréciation du changement de la nature du projet.
Pour apprécier ce changement de nature, le rapporteur public invitait dans ses conclusions l’administration et le Juge à « prendre en compte plusieurs indices relatifs au projet, notamment sa destination, ses dimensions, son implantation ou encore les caractéristiques principales de son insertion dans l’environnement. L’important est que les modifications qui devraient être apportées à ces éléments soient telles qu’elles conduisent à rompre le lien avec le permis initial ».
La mesure de régularisation apparait donc pouvoir modifier en profondeur le permis initial, à la condition toutefois que ces modifications conservent un lien suffisant avec lui.
Cette situation conduisait à une dissociation problématique entre les deux régimes d’autorisations modificatives. Le constructeur qui décidait de lui-même de modifier son permis se trouvait dans une situation moins favorable que celui qui y était contraint dans un cadre contentieux.
En outre, cela rendait difficile une régularisation spontanée en cours d’instruction si celle-ci impliquait d’importantes modifications du projet. Il fallait alors attendre la décision du juge pour pouvoir solliciter une « mesure de régularisation », ce qui ne participait pas à l’efficacité du contentieux.
C’est pour unifier les champs d’application matériel de ces deux types d’autorisations modificatives qu’est intervenue la décision du Conseil d’Etat du 26 juillet 2022 devant lequel était contesté un permis de construire modificatif intervenu hors contentieux :
« 7. En premier lieu, l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».
Les régimes sont dont désormais unifiés quant à leur champ matériel (car ils diffèrent toujours sur la condition temporelle puisque le « permis modificatif » continue à devoir être délivré avant l’achèvement de la construction, à la différence de la « mesure de régularisation »).
Il conviendra d’être attentif au contrôle que réalisera le Juge de la notion « de changement de nature du projet » qui demeure relativement floue. Les premières jurisprudences rendues s’autorisant de cette notion sont peu explicites.
Pour terminer, on observera que si cet élargissement du champ d’application du permis de construire modificatif est bienvenu et devrait permettre une évolution plus souple des projets (pour bénéficier, par exemple, d’une évolution favorable de la norme d’urbanisme) tout en conservant les droits acquis issus du permis initial, il est constant que plus les modifications seront nombreuses et importantes, plus leur confrontation avec la norme d’urbanisme induira des risques contentieux, alors qu’aux surplus l’intérêt à agir des tiers (n’ayant pas contesté le permis initial) s’apprécie au regard de la portée des modifications apportées au projet initial et pourrait être largement admis pour un projet affectant la conception d’un projet sans en changer la nature (CE, 17 mars 2017, n° 396362).
En outre, cet assouplissement devrait permettre de donner plus de levier aux constructeurs pour régulariser volontairement d’éventuelles illégalités identifiées à l’occasion d’un contentieux sans attendre la décision du Juge.