Contrats publics

Droit de l’union et transparence dans l’attribution des marchés publics.

CJUE, 17 novembre 2022, C-54/21, Antea Polska

Profitant d’une demande de décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue préciser les contours du cadre juridique européen relatif à la confidentialité des données transmises par les opérateurs économiques au pouvoir adjudicateur dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché public.

Après avoir rappelé au préalable que le droit de l’Union protège la confidentialité des « éléments d’information dont la divulgation pourrait être dommageable aux opérateurs économiques » (CJCE, 14 février 2008, C-450/06, Varec SA c/ État belge), la CJUE va considérer que, dans le cadre de la passation d’un marché public, « la protection de la confidentialité énoncée à la directive 2014/24 est plus large que celle d’une protection s’étendant aux seuls secrets d’affaires », de sorte qu’une législation nationale ne peut se borner à protéger de la publication ou de la transmission aux autres candidats que les seuls secrets d’affaires.   

Par ailleurs, interrogée sur la possibilité de publier ou communiquer à un tiers les informations relatives à « l’identité́ des experts ou des sous-traitants qui se sont engagés, auprès d’un soumissionnaire, à contribuer à l’exécution de ce marché en cas d’attribution de celui-ci », la Cour de justice a souligné qu’il appartient au pouvoir adjudicateur « en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes », de déterminer si, aux termes de la directive 2014/24, la divulgation desdites informations est conforme aux principes de concurrence loyale, d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité. Dans le cas contraire, le pouvoir adjudicateur sera néanmoins tenu d’« octroyer audit soumissionnaire un accès au contenu essentiel de ces mêmes informations, de manière à ce que le respect du droit à un recours effectif soit assuré ».  

Non-exécution de la peine d’exclusion de la procédure de passation des marchés publics en raison de l’appel formé contre la sanction.

CE, 2 novembre 2022, Société Icare, n°464479, Tables

Le Conseil d’État affirme qu’il résulte des dispositions des articles L. 2141-4 du code de la commande publique et 506 du code de procédure pénale que la personne condamnée à une peine d’exclusion de la procédure de passation des marchés publics ne peut se voir opposer un refus de candidature en cas d’appel formé contre le jugement fondant la sanction. En conséquence, seule une peine d’exclusion fondée sur un jugement passé en force de chose jugée peut justifier le refus opposé au candidat sanctionné. 

En l’espèce, une société avait été condamnée à une peine d’exclusion de la procédure de passation des marchés publics par un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 juin 2021, dont elle a interjeté appel. Le ministre des Armées ne pouvait donc légalement se fonder sur une condamnation portée à l’encontre de la société requérante pour l’exclure de plein droit de la procédure de candidature au marché. Ce dernier doit en conséquence reprendre la procédure d’attribution au stade de l’examen des candidatures, en y intégrant la société requérante.

Impossible occupation privative du domaine public à titre gratuit pour le lancement d’une activité commerciale.

Réponse ministérielle n°01895/ JO Sénat 6 octobre 2022, p. 4834

Dans une réponse ministérielle, le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires indique qu’il est impossible pour une commune de délivrer une autorisation d’occupation du domaine public à titre gratuit pour une durée de quatre mois correspondant au lancement de l’activité commerciale de l’occupant. 

Un député sollicitait le Ministre concernant la possibilité, nonobstant les dispositions de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques posant le principe d’onérosité de l’occupation du domaine public, qu’une commune puisse consentir une autorisation d’occupation privative du domaine public à titre gratuit, cependant provisoire, pour une durée de quatre mois. Cela permettrait aux communes de soutenir le lancement des activités commerciales.  

Selon le Ministre, l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques comporte en effet des exceptions au principe d’onérosité de l’occupation du domaine public, mais n’y figure pas le lancement d’une activité économique. En revanche, en vertu de l’article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, le montant de la redevance due par l’occupant à la personne publique peut être modulé et revu à la baisse par l’organe délibérant de la collectivité, pour tenir compte d’une perte de chiffre d’affaires. 

Urbanisme et environnement

Possibilité pour les collectivités d’examiner seules l’opportunité d’une évaluation environnementale pour leurs documents d’urbanisme.

CE, 23 novembre 2022, n°458455, Tables

Dans le prolongement de plusieurs décisions sanctionnant la non-conformité aux directives européennes de décrets relatifs à l’évaluation environnementale (v. CE, 15 avril 2021, n°425424 ; CE, 19 juillet 2017, n°400420), l’association France Nature Environnementale a saisi le Conseil d’État (en demandant l’annulation du décret n°2021 2021-1345 du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme en ce qu’il porterait atteinte aux textes européens en vigueur (directive 2001/42/CE) mais aussi en ce qu’il méconnaîtrait le principe d’impartialité, lequel est garanti à la fois par la CDFUE (art. 41) et la DDHC (art. 16).  

En effet, le décret contesté avait modifié les dispositions du code de l’environnement relatives à l’évaluation environnementale de plans et programmes en y ajoutant la possibilité d’un examen au cas par cas par la « personne publique responsable » du document d’urbanisme (SCOT, PLU, carte communale) afin de déterminer si son élaboration ou sa modification est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement (C. env. R. 104-33). Dans les faits, cela signifie que la collectivité est à la fois à l’initiative de l’évolution du document et compétente pour évaluer si ce dernier doit faire l’objet d’une évaluation environnementale. 

Une double casquette validée par le Conseil d’État, qui, en rejetant la demande de l’association requérante, va souligner que si la collectivité venait à décider qu’une évaluation environnementale n’était pas nécessaire, elle n’en était pas moins tenue de transmettre à l’autorité environnementale un dossier présentant le plan ou programme et motivant sa décision, de sorte que cette dernière, ainsi saisie, puisse rendre un avis conforme (C. env. R. 104-33). Considérant que cette saisine « implique qu’en toute hypothèse l’évolution ou l’élaboration d’un document d’urbanisme ne pourra être dispensée de la réalisation d’une évaluation environnementale si cette autorité s’y oppose », le Conseil d’État va estimer « qu’eu égard les garanties procédurales » entourant la procédure contestée, il n’y a pas lieu de considérer que cette dernière ne serait pas conforme à la directive 2001/42/CE et au principe d’impartialité.

Précisions sur les conditions de la démolition des constructions irrégulièrement édifiées aux abords des monuments historiques.

Cass, civ., 16 nov. 2022, n° 21-24.473, Bulletin

Dans un arrêt du 16 novembre dernier, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a apporté des précisions sur le régime de démolition des constructions situées à proximité d’un monument historique ou dans une zone soumise à un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP).

Dans un premier temps, et en application des articles L. 621-30 du code du patrimoine et L. 480-13 du code de l’urbanisme, elle a considéré que toute construction édifiée en méconnaissance du périmètre de 500 mètres entourant les monuments historiques et dont le permis a été en conséquence annulé par le juge administratif peut être démolie, peu importe qu’il y ait ou non co-visibilité.  

De la même manière, elle a jugé qu’est possible la démolition de la construction édifiée dans une zone soumise à un PPRNP et annulée par le juge de l’excès de pouvoir dès lors que ledit PPRNP comporte des limitations ou interdictions de construire, et ce sans qu’il soit nécessaire que la construction contrevienne elle-même à ces prescriptions. 

Condamnation de l’État pour non-respect de ses obligations en matière environnementale.

CE, 17 oct. 2022, Association les amis de la Terre France et a., n°428409

Le Conseil d’État a de nouveau condamné l’État au paiement d’une astreinte, cette fois-ci de 20 millions d’euros, correspondant au second semestre de l’année 2021 et au premier de l’année 2022, pour non-exécution de sa décision n°394254 du 12 juillet 2017. Cette dernière l’avait enjoint à prendre toute mesure utile pour remédier à son manquement aux obligations de garantie d’une qualité de l’air minimum, fixées par l’Union européenne.  

Le Conseil d’État avait déjà, par une décision n°428409 du 10 juillet 2020, prononcé une astreinte de dix millions d’euros par semestre à l’encontre de l’État pour non-exécution de sa décision de 2017. 

Contentieux de l’autorisation d’urbanisme valant autorisation commerciale.

CE 7 oct. 2022, SCI Entrepôt Nîmes, n° 450615 ; CE 7 oct. 2022, Assoc. En toute franchise département de l’Hérault, n° 452959

Par deux arrêts rendus le 7 octobre 2022, le Conseil d’État est venu préciser le régime s’appliquant au contentieux des permis de construire et permis de construire modificatifs valant autorisation commerciale. 

En l’espèce, une première décision concernait le recours de deux sociétés contestant l’obtention par une troisième d’un permis de construire valant autorisation commerciale, après avis favorable de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). Les deux requérantes soutenaient que la CNAC avait pourtant statué défavorablement sur ce projet au préalable. Selon le Conseil d’État, il résulte cependant des dispositions de l’article L. 752-21 du Code de commerce que lorsqu’un projet soumis à permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale fait l’objet d’un avis défavorable de la CNAC pour un motif de fond, une nouvelle demande portant sur le même terrain ne peut être soumise à cette dernière que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l’avis antérieur de la CNAC. La condition étant remplie, la juridiction rejette le recours. 

Par une seconde décision, le Conseil d’État est également venu préciser que l’avis de la CNAC n’avait que le caractère d’un acte préparatoire à la décision prise par l’autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation commerciale. En conséquence, si, en la matière, le recours formé auprès de la CNAC est un préalable obligatoire, pour des raisons de critères de recevabilité, à l’introduction d’un recours devant le juge administratif, rien ne fait obstacle à ce qu’un recours gracieux soit formé devant l’autorité administrative à l’encontre de la décision autorisant le projet litigieux.