Contrats et biens publics

Conséquences du retour d’un bien dans le domaine public pour le titulaire d’un bail commercial conclu sur ce dernier.

CE, 21 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n°464505, Rec.

Dans un arrêt publié au recueil, le Conseil d’État est venu préciser les conséquences juridiques du retour d’un bien dans le domaine public pour le titulaire d’un bail commercial conclu sur ce dernier.

En l’espèce, la commune de Saint-Félicien avait conclu, en 2019, un bail commercial d’une durée de 9 ans en vue de l’exploitation d’un terrain de camping récemment désaffecté et déclassé. Cependant, un an plus tard, le conseil municipal est revenu sur sa précédente délibération, réintégrant le bien dans son domaine public. Par voie de conséquence, la commune a constaté l’extinction du bail commercial, et a demandé à l’exploitant de quitter les lieux en janvier 2021. Saisi au titre de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté la demande d’expulsion formée par la commune, considérant que la délibération réaffectant le terrain à un service public de camping municipal n’avait pas eu pour effet d’interrompre le bail commercial.

Pour rappel, s’il est tout à fait possible, pour une collectivité publique, de conclure un bail commercial sur un bien de son domaine privé, elle ne peut en faire de même sur une dépendance de son domaine public (v. par exemple CE, 5 mars 2003, n° 247054, SARL Hostellerie Château de Nyer). C’est donc dans le prolongement de cette jurisprudence établie que le Conseil d’État a annulé l’ordonnance du juge des référés, considérant que le bail commercial conclu sur un bien du domaine privé se trouve frappé d’illégalité dès lors que ledit bien est réintégré dans le domaine public communal. Pour autant, s’il perd son caractère commercial, le bail continue de valoir titre d’occupation domanial.

L’indemnisation de la résiliation amiable d’un contrat administratif ne doit pas excéder le montant du préjudice subi.

CE, 16 décembre 2022, Société Grasse vacances, n°455186, Rec.

Dans cette décision, le Conseil d’État a jugé que s’il est permis aux personnes publiques de transiger dans le cadre de la résiliation amiable d’un contrat administratif, l’allocation au co-contractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi constitue une libéralité à laquelle une personne publique ne peut en aucun cas consentir (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, n° 334280[VD1] , Rec.).

On relèvera que Conseil d’État livre ici une appréciation plus restrictive de la notion de libéralité, dans la mesure ou la jurisprudence antérieure se bornait à rechercher la « disproportion manifeste » entre l’indemnité allouée et le préjudice subi (v. par exemple CE, 9 décembre 2016, n°391840, Rec. T. ; CE, 10 novembre 2021, n°449985).

Les personnes publiques peuvent acquérir des biens par usucapion.

Cass. 3ème civ., 4 janvier 2023, n° 21-18993

La Cour de cassation rappelle que les personnes publiques peuvent acquérir des biens par prescription acquisitive, quand bien même ce mode d’acquisition des biens n’est pas au nombre de ceux énumérés par le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).

S’il s’agit là d’une jurisprudence constante (v. pour un exemple récent Cass. civ. 3, 1er février 2018, n° 16-23.200), sa publication au bulletin et sa rédaction pédagogique indiquent la volonté de la Cour de cassation de clore le débat né des errements de la doctrine ministérielle, laquelle avait un temps postulé l’exhaustivité du CG3P et considéré, par voie de conséquence, que les personnes publiques ne pouvaient s’autoriser de la prescription acquisitive (Rép. Min. n°93233, JOAN 22 mars 2011).

Marchés publics : évolutions réglementaires du 1er janvier 2023.

Décret n° 2022-1683 du 28 décembre 2022

Arrêté du 29 décembre 2022 modifiant les CCAG

En droit de la commande publique, plusieurs évolutions réglementaires sont à relever en ce début d’année 2023. En premier lieu, le décret du 28 décembre 2022 a concrétisé un certain nombre des annonces faites par Bercy lors des assises du BTP (v. sur ce point nos actualités du mois de septembre).

Entre autres, on soulignera la prorogation jusqu’au 31 décembre 2024 du seuil de 100 000 euros en dessous duquel les marchés de travaux sont dispensés de publicité et de mise en concurrence. Par ailleurs, le maître d’œuvre sera dorénavant pénalisé en cas de dépassement du coût prévisionnel des travaux uniquement si ledit dépassement lui est imputable. En outre, le décret relève de 20 à 30% le montant minimum de l’avance versée aux petites et moyennes entreprises titulaires d’un marché de l’Etat. Enfin, on notera la poursuite du processus de dématérialisation des procédures de passation des contrats publics avec l’ouverture de la possibilité offerte aux candidats de transmettre la copie de sauvegarde de leurs candidatures et offres par voie dématérialisée.

L’arrêté du 29 décembre 2022 modifie les CCAG des marchés publics en conséquence. En sus, il apporte des modifications au CCAG Travaux, en abaissant à 4 mois le délai au-delà duquel l’ordre de service de commencement d’exécution des travaux est considéré comme tardif. En cas de non-respect de ce délai, le titulaire a droit à l’indemnisation du préjudice qui en découle ou à la résiliation du contrat.

Urbanisme et environnement

Les pouvoirs du maire en matière de police de l’urbanisme.

CE, 22 décembre 2022 Commune de Villeneuve-lès-Maguelone n° 463331

Dans un arrêt publié au recueil, le Conseil d’Etat est venu préciser les pouvoirs du maire en matière de police de l’urbanisme.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle les dispositions issues de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme qui permettent au maire de mettre en demeure l’auteur de travaux irréguliers  et d’ordonner par arrêté de « procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité (…) des travaux en cause ».

Alors même, que la doctrine ministérielle restait évasive sur ce que recouvre cette formule[1], le Conseil d’Etat est venu préciser qu’ « il résulte de ces dispositions (…), que, dans le but de renforcer le respect des règles d’utilisation des sols et des autorisations d’urbanisme », le maire peut prescrire à l’auteur de travaux irréguliers, « dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment des poursuites pénales (…), mettre en demeure l’intéressé, après avoir recueilli ses observations, selon la nature de l’irrégularité constatée et les moyens permettant d’y remédier :

soit de solliciter l’autorisation ou la déclaration nécessaire,

soit de mettre la construction, l’aménagement, l’installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l’impose, en procédant aux démolitions nécessaires ».

Enfin, le Conseil d’Etat précise que « cette mise en demeure peut être assortie d’une astreinte, prononcée dès l’origine ou à tout moment après l’expiration du délai imparti par la mise en demeure, s’il n’y a pas été satisfait en ce cas après que l’intéressé a de nouveau été invité à présenter ses observations ».

Une demande de confirmation de demande de permis de construire déposée à la suite de l’annulation d’une décision de refus de délivrance de permis ne doit pas comporter des modifications qui excéderaient de simples ajustements ponctuels.

CE, 14 décembre 2022 Société Eolarmor  n°448013

Dans un arrêt publié au recueil, le Conseil d’Etat considère que la demande de permis de construire confirmée ne peut faire l’objet d’un refus sur le fondement de règles d’urbanismes postérieures à la date d’intervention de la décision annulée sauf si le pétitionnaire apporte des modifications à son projet « dépassant les simples ajustements ponctuels ». Le Conseil d’Etat estime qu’il s’agit par suite d’une demande portant sur un nouveau projet et qu’elle devait, dans ces conditions, « être appréciée non au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles (…), applicables à la date de cette nouvelle demande ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que « la demande présentée par la société ne pouvait être considérée comme une confirmation de sa demande d’autorisation initiale au sens et pour l’application de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme dès lors qu’elle impliquait une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels ». Dans ces conditions, la demande de permis de construire doit être regardée comme une nouvelle demande et instruite comme telle.

Cette décision met en relief la nécessité de l’existence d’une identité substantielle des projets entre celui demandé initialement et celui objet de la demande de confirmation, après que le refus de permis de construire a été jugé illégal.

La cristallisation des règles d’urbanisme n’est possible que dans la mesure où les modifications apportées au projet initial s’apparentent à de « simples ajustements ponctuels ».

Le deuxième recours gracieux formé par le même tiers contre le permis initial, dont le retrait a été annulé par la juridiction administrative, n’interrompt pas les délais de recours contentieux contre le permis initial.

CE, 28 décembre 2022 EARL La Lande du Vionay  n° 447875

Dans un arrêt mentionné aux tables, le Conseil d’Etat rappelle que « lorsqu’une décision créatrice de droits est retirée et que ce retrait est annulé, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation.

Une telle annulation n’a en revanche, pas pour effet d’ouvrir un nouveau délai de quatre mois pour retirer la décision initiale, délai réduit à trois mois s’agissant des décisions d’urbanisme (…), alors même que celle-ci comporterait des irrégularités pouvant en justifier légalement le retrait ».

Autrement dit, lorsqu’une décision a été retirée à tort et qu’elle est remise en vigueur, l’administration ne dispose plus de la possibilité de la retirer.

Une second recours contentieux est toutefois possible : « lorsqu’une décision créatrice de droits a été retirée dans le délai de recours contentieux puis rétablie à la suite de l’annulation juridictionnelle de son retrait, le délai de recours contentieux court à nouveau, à l’égard des tiers, à compter de la date à laquelle la décision créatrice de droits ainsi rétablie fait à nouveau l’objet des formalités de publicité qui lui étaient applicables ou, si de telles formalités ne sont pas exigées, à compter de la date de notification du jugement d’annulation ».

En revanche, le Conseil d’Etat estime que le deuxième recours gracieux formé par les mêmes tiers en ayant déjà formé un contre le permis initial n’interrompt pas les délais de recours à son encontre, puisqu’il « doit être regardé comme un deuxième recours administratif formé contre le même acte, insusceptible de conserver ce délai ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que « le recours gracieux formé par l’EARL La Lande du Vionnay le 7 septembre 2020 n’a pu, en tout état de cause, conserver le délai de recours contentieux, et que le recours formé le 5 novembre 2020 était dès lors irrecevable ».

L’insuffisance d’une étude d’impact peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction au titre de l’article L.480-13.

Cass. 3ème chambre civile, 11 janvier 2023 n°21-19.778

Pour la Cour « méconnait une règle d’urbanisme au sens de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme la construction d’un parc éolien conformément à un permis de construire, ultérieurement annulé en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact prévue par l’article R. 431-16 du Code de l’urbanisme, cette étude d’impact lacunaire ayant exercé une influence sur la décision de l’administration qui ne disposait pas des éléments nécessaires pour apprécier la réalité des conséquences du projet de construction sur l’environnement ».

Procédure administrative   

Le Gouvernement pérennise et généralise l’expérimentation des procédures orales d’instruction devant l’ensemble des juridictions administratives.

Décret n°2023-10 du 9 janvier 2023 

Par un décret n°2023-10 du 9 janvier 2023, le Gouvernement pérennise et généralise l’expérimentation des procédures orales d’instruction devant l’ensemble des juridictions administratives.

Après plus de deux années d’expérimentation des procédures orales des dossiers devant le Conseil d’Etat, le Gouvernement a créé deux nouveaux articles : 

L’article R. 625-1 qui prévoit qu’« en complément de l’instruction écrite, la formation de jugement dans un tribunal ou une cour, ou la formation chargée de l’instruction du Conseil d’Etat, peut tenir une séance orale d’instruction au cours de laquelle elle entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile ». 

L’article R. 625-2 du Code de justice administrative qui dispose que « la formation de jugement peut tenir une audience publique d’instruction au cours de laquelle les parties sont entendues sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile ». 

Désormais, ces deux procédures d’instruction orale des affaires sont pérennisées et généralisées devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Ce décret consolide l’oralité des procédures devant les juridictions administratives. 


[1] Rep. Min. n°02482, JOSEN, 29 décembre 2022