(article publié dans le Moniteur du 27 mai 2022)
Un peu plus d’un an après la publication des nouveaux CCAG Travaux et Maîtrise d’œuvre (MOE), des premiers retours d’expérience sur l’utilisation de ces documents méritent l’attention. Sans prétendre à l’exhaustivité, les points évoqués ci-dessous peuvent potentiellement avoir des conséquences non-négligeables sur l’exécution des marchés des constructeurs, notamment en cas de difficultés de l’opération. Les parties et tout particulièrement l’acheteur peuvent donc légitimement se poser la question de l’intérêt d’une référence pure et simple aux CCAG sans dérogation ou compléments dans les documents du marché sur les sujets suivants.
1. Le champ d’application des CCAG Travaux et MOE
Ainsi que l’indique à juste titre la Direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère de l’économie, des finances et de la relance dans sa fiche 0 « Les CCAG : entrée en matière et mode d’emploi » du guide d’utilisation des CCAG , ces documents ne sont pas adaptés à tous les marchés publics. Les CCAG ont été conçus pour les marchés qui constituent des contrats administratifs et qui, à ce titre, peuvent comporter des clauses exorbitantes du droit commun (par exemple, les pouvoirs de modification et de résiliation unilatérales accordés à l’acheteur) dont la validité peut être discutée dans le cadre d’un marché de droit privé. Ce sujet n’est pas propre aux nouveaux CCAG et il ne s’agit certainement pas là d’un défaut de ces documents. Au contraire, les CCAG sont presque victimes de leurs succès. Bon nombre de rédacteurs au sein de personnes privées acheteurs publics choisissent de se référer aux CCAG par culture ou parce que ces documents sont très précis et relativement protecteurs des intérêts du maître d’ouvrage. Or, il convient de s’interroger sur la pertinence de telles références surtout si elles ne sont pas accompagnées des dérogations pertinentes dans les documents particuliers du contrat.
S’agissant plus spécifiquement du CCAG MOE, son utilisation ne saurait dispenser les parties de prendre en compte, dans les documents particuliers du marché, les dispositions spécifiques du code de la commande publique relatives aux marchés publics liés à la maîtrise d’ouvrage publique et à la maîtrise d’œuvre privée (articles L.2410-1 et suivants et R.2412-1 et suivants) si l’opération projetée s’y trouve soumise en application des critères posés par le code. Le CCAG MOE a en effet également vocation à s’appliquer aux opérations qui n’en relèvent pas. Les parties doivent donc, sur ce point, conserver les habitudes prises avant l’apparition du CCAG MOE et prendre en compte, dans les pièces contractuelles particulières du marché, les règles posées par le code.
2. Les ordres de service
L’article 3.8 du CCAG Travaux prévoit la possibilité d’une notification des ordres de service par le maître d’œuvre ou le maître d’ouvrage. Le CCAG Travaux consacre ici une pratique répandue selon laquelle le maître d’ouvrage se réserve parfois les ordres de service ayant une incidence financière. Toutefois, au contentieux, lorsque la responsabilité du maitre d’ouvrage est retenue, c’est très régulièrement en raison d’une immixtion dans la direction de l’exécution du marché ou d’une faute dans la mise en œuvre du contrat. En substance, il est reproché au maitre d’ouvrage d’avoir joué les maîtres d’œuvre. Il est donc fortement recommandé de prévoir clairement dans le marché qui du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre se charge de la notification des ordres de service ou, dans l’hypothèse d’une prérogative volontairement partagée, de distinguer ceux qui relèvent des compétences respectives de chacun d’eux. En toute logique, cette précision devra également figurer dans le marché de maîtrise d’œuvre.
Rédigés en des termes identiques, les CCAG permettent également au titulaire de suspendre le délai d’exécution d’un ordre de service pendant un délai maximum de quinze jours, dans l’attente de la réponse du maître d’ouvrage, en faisant valoir que l’OS « présente un risque en termes de sécurité, de santé ou qu’il contrevient à une disposition législative ou règlementaire à laquelle (le titulaire) est soumis dans l’exécution des prestations objet du marché ». Il est permis de douter de l’intérêt de cette disposition pour plusieurs raisons. D’abord, en cas de difficultés, le titulaire peut être tenté de multiplier les réserves sur OS dans le but d’obtenir des suspensions des délais d’exécution arguant, par exemple, de prétextes plus ou moins sérieux de méconnaissance du droit de la commande publique. Ensuite, la jurisprudence admet déjà que le titulaire peut refuser d’exécuter des ordres de service illégaux, tout particulièrement lorsqu’ils méconnaissent la règlementation en matière de sécurité et de protection de la santé. Enfin, à bien lire le CCAG, le délai d’exécution de l’OS courra à nouveau dès la notification de la réponse du maitre d’ouvrage, quelle que soit la pertinence des réserves formulées par le titulaire. On peut s’interroger sur l’opportunité de ces dispositions qui pourraient utilement faire l’objet d’une dérogation ou à tout le moins d’un aménagement dans les documents particuliers du contrat.
3. Les pénalités de retard
Les articles 54 et 26 des CCAG Travaux et MOE sont rédigés de manière identique en ce qu’ils prévoient une information préalable du titulaire quant à l’application des pénalités de retard et leur plafonnement à 15% du montant hors taxes du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande.
L’idée d’une information préalable du titulaire sur le prononcé éventuel des pénalités assortie d’une invitation du titulaire à présenter, le cas échéant, des observations sur la mesure envisagée est assurément une bonne chose. En cohérence avec le droit applicable aux sanctions et mesures défavorables prises par l’administration, la phase de dialogue avec le titulaire est de nature à réduire les risques de différends.
Le plafonnement du montant des pénalités s’inscrit, quant à lui, dans une logique de limitation de la responsabilité contractuelle du titulaire parfaitement admise par le juge mais rarement utilisée en pratique. Elle répond à un souhait légitime de certains titulaires qui ne souhaitent pas encourir une responsabilité illimitée au titre de l’exécution du marché, tout particulièrement en cas de retard.
Cependant, le plafond retenu de 15% est très nettement inférieur à celui au-delà duquel la jurisprudence considère que les pénalités sont excessives et qu’elles doivent donc être minorées, le juge n’hésitant pas à valider des sanctions financières dont le montant approche 50% du marché.
Certes, des pénalités de retard représentant 15% du montant du marché constituent déjà une sanction très lourde pour le titulaire. Toutefois, dans l’hypothèse d’un différend, ce montant est à mettre en perspective avec les demandes indemnitaires souvent très élevées formulées par le titulaire. Il est très fréquent, pour parvenir à un règlement amiable du litige, que l’acheteur renonce ou minore les pénalités en contrepartie d’une réduction du montant des demandes du titulaire ou d’un abandon de quelques-unes de celles-ci. En acceptant un plafonnement du montant des pénalités à 15% du montant du marché et alors que les demandes du titulaire ne sont pas limitées, l’acheteur se prive d’une marge de manœuvre.
4. La clause de réexamen
Une clause de réexamen figure dans les CCAG Travaux (article 54) et MOE (article 26). Rédigée en des termes identiques dans les deux documents, elle consacre une pratique auparavant dépourvue de support contractuel selon laquelle, fort logiquement, les parties discutaient entre elles des conséquences d’évènements imprévus sur l’exécution du marché. Il est généralement question de prolongation du délai de réalisation des prestations et de prise en charge financière des surcoûts exposés par le titulaire.
Cette clause prévoit que le titulaire « est tenu de demander en temps utile qu’il soit procédé́ à des constatations contradictoires pour permettre au maitre d’ouvrage d’évaluer les moyens supplémentaires effectivement mis en œuvre ». S’agissant des marchés de travaux, ces constatations sont celles prévues à l’article 11 qui prévoit également, dans la même logique, que le titulaire doit solliciter des constations pour des prestations qui ne pourront pas faire l’objet de vérifications ultérieures « notamment lorsque les ouvrages doivent se trouver par la suite cachés ou inaccessibles ». La rédaction de la clause de réexamen suggère clairement que le titulaire ne pourra pas solliciter la prise en charge de surcoûts s’il a tardé à solliciter la réalisation des constats précités. La pratique n’était pas aussi exigeante à l’égard du titulaire.